Beau sourire, n’est-ce pas ? Sauf que quelque chose cloche. De son bleu piscine au malheur de ce mammifère obligé d’afficher une mine réjouie en toutes circonstances, tous les pixels de la photo crient exactement l’inverse de ce qu’elle représente…
Marqué dessus comme le Port-Salut, oui, c’est une photo que j’ai prise ! Loin d’être la plus mauvaise et dont je ne suis pas fière… Dans le cadre de mon travail, je ne l’ai jamais proposée aux iconographes pour illustrer l’un de mes articles sur les dauphins. J’aurais pu peut-être ?
Ça m’est arrivé en presse écrite sur d’autres sujets (et ailleurs, la Cité des Sciences ayant par exemple projeté en diaporama certaines de mes photos de corail à l’occasion d’une exposition sur sa diversité). Avec ce dauphin, j’aurais pourtant eu l’impression de trahir mes convictions. Je l’ai dit, répété, je n’ai ni le talent, ni le matériel d’une photographe professionnelle.
C’est par plaisir, autant que j’aime la décrire avec des mots que j’aime prendre la nature en photo. Or sur celle-ci, rien n’est naturel. Au premier abord, la couleur de fond a un petit côté lagon polynésien pas désagréable, mais à choisir… L’odeur du chlore et les quatre murs de la « cuvette » municipale ? Ou les effluves de monoï et le lagon qui communique avec le Pacifique ? Nous sommes tous à répondre « y a pas photo ! ». Ou plutôt « y a pas piscine !».
Dans le même style, sur les premiers numéros de Plongeur.com, le rédacteur-en-chef envisageait une rubrique Pour ou contre : le cétacé en aquarium ? le shark-feeding ? etc. Son but ? Susciter l’interrogation en profondeur, non pas sur le comportement des animaux marins, mais sur celui de l’être humain et ses effets. Cloitrer dans une « boîte en verre » un être si intelligent et d’une espèce proche de la nôtre ? organiser des festins pour les prédateurs ? N’est-ce pas justement « dénaturer » la nature ?
Titraille de l’ensemble du magazine mûrement choisie et mise en relief par le lanceur d’alerte rebelle, ce premier débat devenait « Serwhale killer ? Faut-il interdire les spectacles avec les cétacés en captivité ? »
Dans Plongeur.com 3 paru en juillet 2010, à lire intégralement avec l’édito intitulé Chair de poulpe dans lequel le rédac’chef racontait l’étrange attaque d’une pieuvre sur sa personne et annonçait que les requins étaient chez nous. Si ! Trois ans déjà, peut-être, mais toujours d’actualité en juillet 2013…
Ainsi, l’article revenait sur le drame d’un mammifère maintenu en captivité dans une prison de verre qui se retournait contre celle qui lui faisait jouer le show (tout en l’adorant certainement). Tilikum avait soudain un comportement jamais observé à l’état sauvage.
On ne connait effectivement aucun cas d’attaque mortelle d’orque sur l’être humain rappelait Pierre Robert De La Tour, président de l’association Orques Sans Frontières et apnéiste qui a plongé maintes fois sans problème avec ces animaux en Norvège.
C’est pourtant lors du énième spectacle que le cétacé se rebellait violemment contre sa dresseuse, métier « d’aquari’hommes » pas réservé à la gent masculine… Ce drame est désormais porté à l’écran dans Blackfish, un documentaire de Gabriela Cowperthwaite. Le film révèle l’envers du décor sur cette industrie et sort ce vendredi aux Etats-Unis. Bien sûr, il fait déjà polémique car oser dire que ces mammifères marins sont enlevés à l’océan de manière monstrueuse, qu’ils sont enrôlés de force comme esclaves d’un business juteux et de fait, responsable de la mort de Dawn Brancheau, cela fait grincer des dents.
Lui, le brillant mammifère dont la vie est normalement faite de voyages dans l’océan, de chasses dans les passes et de jeux dans les lagons, que peut-il penser de sa prison transparente ? Spécialistes et écologistes l’affirment haut et fort (voir Free Dolphins Belgium) : confronté à l’enfermement, la claustrophobie, le stress et la promiscuité, il est capable de tenter l’évasion en se jetant hors du « bocal » ou de préférer le suicide !
Sciemment, il arrête de respirer ou se jette contre les murs. La franchise m’oblige à dire qu’enfant et déjà accro aux dauphins, orques et baleines, loin d’analyser la situation sous cet angle, je rêvais de travailler au plus près d’eux, en delphinarium donc. « Mais ça, c’était avant » comme dirait l’opticien, avant l’adolescence que j’y vois clair pour rester dans le verre (correcteur), que j’ouvre les yeux et d’excellents ouvrages…
Grâce aux livres, dés le plus jeune âge, nous nous passionnons pour des espèces éteintes depuis des milliers, voire des millions d’années comme les mammouths et les dinosaures. Alors, l’argument de maintenir des dauphins, bélugas et orques en piscine, d’en faire les ambassadeurs des océans pour sensibiliser le public à leur cause ne tient pas.
Il serait plus honnête de dire que l’on fait de ses esclaves marins des clowns qui n’ont pas choisi de l’être plutôt que de les ériger en symboles de l’écologie moderne.
A ce propos, sur le site de La Dolphin Connection, l’interview du repenti Ric O’Barry, ex-dresseur de Flipper, est passionnante. L’homme est la version dauphin du capitaine Paul Watson (qui lui fait plus dans la défense des baleines et requins). Pour l’association One Voice, de Taiji au Japon, il a rapporté les sanglantes vidéos qui ont donné The Cove, oscar du meilleur film documentaire en 2010 et images qui ont fait le tour du monde…
Tout comme en juin dernier, celles, « flippantes », de baigneurs qui ont précipité la mort d’un dauphin blessé en le sortant de l’eau parce qu’ils voulaient se prendre en photo avec lui sur une plage de Chine !
L’éloge de la lenteur, en voilà une idée (de tortue ?) qui nous ramènerait vers plus de sagesse… L’être humain veut tout, tout de suite. Et il est prêt à payer pour ça. Avec les cétacés, c’est pareil : en échange de quelques billets, il en veut pour son argent.
Et nous, dans le bocal ?
Au-dessus, le cerveau compartimenté d’une vie de pois(s)on, dessous en liberté
Patienter fébrilement des heures avec le mal de mer sur un bateau et l’incertitude de rencontrer les mammifères marins, mériter cet instant magique, non merci ! Il veut les voir à l’instant choisi reproduire des numéros répétés à l’infini et toujours avec le sourire, parce que pas le choix, c’est physique.
Quant aux journées du cétacé, elles s’enchaînent comme sa vie selon un programme décidé pour lui : à telle heure tu manges, à telle heure boulot (spectacle), à telle heure tu dors, là tu te reproduis. Existence compartimentée en quatre qui n’a plus rien à voir avec la nonchalance de la liberté…
Pour ma part, un jour, le destin m’a réservé un drôle de tour. Lors d’un stage de biologie marine, je me retrouvais en croisière scientifique en train d’admirer des dauphins libres – instant de bonheur suprême -, en laboratoire à observer au microscope l’incroyable diversité du plancton (des diatomées aux radiolaires) et à analyser des échantillons d’eau. De mer, rivière et… d’aquariums où nageaient des cétacés, eau qu’il avait bien fallu prélever avant d’explorer quels éléments chimiques elle contenait !
Vous en savez maintenant un peu plus sur mes photos de cétacés en aquarium que j’utiliserai uniquement et toujours avec la volonté de témoigner de la nécessité de les rendre à la nature. Imaginez-vous à leur place, dans un bocal ! N’est-ce pas d’évasion, de liberté, dont vous rêveriez, vous aussi ? Terminons sur cette question dérangeante illustrée tant bien que mal par ces mammifères à l’évidence heureux « comme des poissons dans l’eau » de la planète mer…