Tara Méditerranée va étudier la toxicité des déchets de plastique !Le voilier Tara repart en mission, cette fois en Méditerranée, pour mesurer, de mai à novembre, les conséquences des déchets de plastique flottants sur les espèces vivantes. Une première mondiale, à l'échelle de la Méditerranée, qui abrite 7,5 % de la faune et 18 % de la flore marine de la Planète.Reconnaissable par sa coque en aluminium de 36 mètres de long, la goélette Tara embarque à son bord une équipe de cinq marins, de deux scientifiques, d'un correspondant d’expédition et d'un artiste. Le navire est actuellement en rade de Toulon et commencera son périple méditerranéen jeudi 29 mai en direction de l'île des Embiez.Des
bactéries en pleine mer agrippées à des
micro-fragments de plastique : voilà, entre autres, ce qu'observeront, au
microscope électronique, les chercheurs de l'expédition
Tara Méditerranée qui débute officiellement mardi 27 mai 2014. Embarqués à bord de la
goélette Tara, les scientifiques, majoritairement de
l’université du Michigan, aux
États-Unis, et du laboratoire de
Villefranche-sur-mer (CNRS), en
France, s'appliqueront tout d'abord à profiler les
détritus flottants de moins de 5 cm, pour en déterminer leur nature, leur taille, etc.
Il s'agit aussi de cartographier leur distribution spatiale sur l'eau. Les scientifiques étudieront notamment la courantologie des
déchets. Les plastiques, dits de surface, par opposition à ceux présents en
profondeur, proviennent majoritairement des rejets pétrochimiques depuis les rives méditerranéennes — qui comptent 450 millions d’habitants répartis dans 22 pays.
Mais les déchets pénètrent aussi depuis l'océan Atlantique par le détroit de Gibraltar. Ce passage fonctionne, pour les eaux de surface de Méditerranée, comme une pompe aspirante, tandis que la circulation est inverse pour les eaux profondes. Les courants verticaux de masses d'eau seront aussi observés pour caractériser les brassages possibles. Une diatomée, microalgue unicellulaire de 2 µm à 1 mm, s'est fixée sur un fragment de plastique flottant.La manière dont les
espèces marines réagissent à ces intrus dérivants et persistants constitue un second volet de recherche. Les opportunistes, qui voient en eux des abris temporaires ou permanents, les colonisent. C'est le cas de certaines bactéries ainsi que d
'insectes qui y déposent leurs œufs.
« On trouve ainsi des tas de mouches dans le Pacifique. Comme quoi, là où il y a des poubelles, il y a des mouches ! », rapporte
Gaby Gorsky, directeur scientifique de l'opération, directeur du
l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-Mer/UPMC-CNRS et engagé dans des programmes de suivi des fragments de plastique et dans les études de leur impact sur
l’écosystème marin. Le plastique peut altérer les fonctions reproductivesLa
toxicité potentielle des
plastiques est un autre axe d'investigation.
Polyéthylène, polystyrène, polyamide... : les déchets varient au niveau de leur composition chimique.
« Il est clair que la chimie se manifeste dans le vivant », déclare
Gaby Gorsky. Les
bisphénols, cite-t-il,
contenus dans les emballages et les bouteilles en plastique sont des perturbateurs endocriniens reconnus pour générer des problèmes de reproduction et des malformations. Mais ce n'est pas tout.
« Le plastique est une véritable éponge à polluants, ajoute le chercheur. Comment ces produits potentiellement toxiques, de type insecticides ou molécules médicamenteuses, une fois ingérés par la biocénose méditerranéenne s'accumulent-ils dans ses tissus ? Affectent-ils ses fonctions biologiques ? » Pour le savoir, les contenus stomacaux du zooplancton, de poissons et de crevettes seront analysés. Des résultats qui intéresseront aussi l'être humain, consommateur de ressources marines. Les
cétacés, comme les humains, sont installés en fin de réseau trophique.
La Méditerranée en compte sept espèces, dont le deuxième plus grand mammifère marin au monde, le rorqual commun, ainsi que le cachalot, menacé d'extinction. « Très certainement avalent-ils de grandes quantités de plastique », suppose
Gaby Gorsky. Il est d'ailleurs étonnant que
la cétologie fasse défaut durant cette mission, d'autant que des études de l'impact des polluants sur les cétacés de Méditerranée sont en cours. Dans une seconde phase de recherche, peut-être en 2015, le consortium envisage de travailler avec des cétologues pour étudier l'impact des déchets sur ces prédateurs fragiles, en plus
des tortues et des poissons. Un filet manta de 1 mètre de large placé 20 cm sur et en dessous de la surface de l'eau récoltera le plastique derrière Tara sur des sessions de 15 minutes.
Pour l'heure, une trentaine de chercheurs, de différentes nationalités et disciplines scientifiques se relaieront pour échantillonner de jour comme de nuit, les écosystèmes variant suivant le rythme circadien. Selon un agenda précis et un protocole simple mais robuste,
« des filets de surface équipés de flotteurs autoriseront les prélèvements dans le sillage de la goélette, explique Romain Troublé, à la direction opérationnelle de l'expédition. Les équipes françaises et étrangères se répartiront ensuite les échantillons pour les analyses en laboratoire ». Tara Méditerranée, une mission de sensibilisation avant toutEn parallèle des recherches, un vaste volet de communication et de
sensibilisation du public, toute première ambition de cette expédition, se traduira par l’accueil de classes à bord, des conférences dans les ports visités et la réalisation d'images par
Christian Sardet. Directeur de recherches CNRS émérite à
l'Observatoire de Villefranche-sur-mer, ce chercheur passionné est réputé pour ses
Chroniques du plancton, une série de vidéos et de photos qui révèlent la beauté et la diversité des animaux marins. Comment filmer une pollution quasiment invisible à l’œil nu ?
« En filmant l'incroyable vie qui y foisonne, répond-il. Autrement dit, le plancton animal et végétal, qui est à la base de toute la biocénose marine. Car sans plancton, pas de poisson. »L’expédition commence à peine, mais elle s'inscrit dans la continuité d'autres opérations menées ailleurs dans le monde depuis 2003.
Tara Méditerranée se projette également dans le futur et au-delà du cadre scientifique stricto sensu. Les scientifiques réfléchissent à un indicateur qui contribuera à jauger de la réussite des politiques publiques de dépollution.
« Car l'heureuse nouvelle est que la pollution de la mer par le plastique est l'une des rares à être réversible, estime Gaby Gorsky. C'est un challenge fabuleux. »
Lui et ses collègues espèrent que les résultats de leurs travaux soumis à une
diffusion internationale contribueront
« à une industrie durable, respectueuse de l’environnement et créatrice d'emplois ». Selon
Christian Sardet, il faut, par exemple
« être plus vigilant avec ce que chaque lessive relargue dans la mer de microfibres passées outre les filtres des lave-linge et des stations d'épuration ». De façon plus simple et immédiate, il convient déjà de ne pas abandonner ses déchets de plastique en ville ou dans la nature...
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