La chute de RomeFin d'une civilisation
Bryan Ward-Perkins (Alma éditeur, 370 pages, 24,90 euros, 2014) |
Inventé en 1971, le concept d'Antiquité tardive a donné lieu à beaucoup d'avatars. Jusqu'à quel point la chute de Rome a-t-elle été une catastrophe ? Dans quelle mesure les Barbares ont-ils une part dans le déclin de l'empire d'Occident ? Cet empire a-t-il véritablement décliné ? Ne s'est-il pas plutôt métamorphosé pour donner le jour à un élan spirituel sans égal, avec le christianisme et l'islam ?
Dans cet essai palpitant et très personnel, l'archéologue britannique Bryan Ward-Perkins remet les pendules à l'heure... et les Barbares à leur place.
« Jusqu'à une date récente, on considérait que l'économie de l'Empire avait fortement décliné au cours des IIIe et IVe siècles, note-t-il. Cependant, le travail archéologique effectué après la Deuxième Guerre mondiale a mis en cause cette analyse. Dans la majeure partie de l'Orient méditerranéen et dans certaines parties de l'Occident, des fouilles et des prospections ont permis de conclure à l'existence d'une économie florissante de l'Empire tardif, accompagnée d'une prospérité rurale et urbaine réelle, fort étendue ». Cette prospérité permet d'entretenir une armée professionnelle qui comprend pas moins de 600.000 soldats.
Bryan Ward-Perkins, qui ne dissimule pas sa sympathie pour la Rome impériale, observe aussi la très grande diffusion de l'écrit aux premiers siècles de notre ère :« l'écrit était d'une utilisation commune sur un mode parfaitement éphémère et quotidien. Pompéi nous en fournit, sans surprise, de nombreuses preuves. Plus de onze mille inscriptions en tous genres y ont été relevées... ».
Mais les conditions relativement clémentes de la vie en Occident au IVe siècle se dégradent considérablement au cours de la première décennie du Ve. « Du fait des invasions, c'est évident », souligne Bryan Ward-Perkins, qui a beau jeu de rappeler les chroniques du Ve siècle, celui d'Alaric, de Saint Augustin, d'Attila et de Clovis. Elles mettent en évidence la violence des rapports entre Barbares et Romains dans la partie occidentale de l'Empire.
L'archéologie témoigne d'après Bryan Ward-Perkins d'« un déclin saisissant du niveau de vie en Occident tout au long des Ve, VIe et VIIe siècles », l'époque des Huns et des Francs. « Tout le monde en fut frappé : des paysans aux rois ».
C'en est à peu près fini des circuits commerciaux d'une extrémité à l'autre du monde romain. Ils favorisaient la production à grande échelle de biens de très haute qualité et donc l'optimisation des savoir-faire. Cela est visible par exemple en matière de poteries avec des sites de production industrielle tel celui de la Graufesenque, près de Millau.
Désormais, chaque territoire est réduit à ses seules ressources, avec de piètres résultats. « Cela peut sembler de prime abord incroyable : la Grande-Bretagne post-romaine tomba à un niveau très inférieur à celui de l'âge de fer pré-romain ». Quant à l'alphabétisation, elle finit par se cantonner au clergé. Il faudra attendre d'une manière générale le XIIIe siècle médiéval, soit près d'un millénaire, pour retrouver les précédents niveaux de production et de bien-être.
Ces considérations sont confortées par l'archéologie funéraire. Les tombes mérovingiennes révèlent des individus chétifs, précocement décédés, affaiblis par la maladie et la malnutrition, signe d'une baisse certaine des niveaux de vie. Cela se voit même à la taille des bovins qui revint à la norme des temps préhistoriques !
L'Orient romain échappe à ce mauvais sort, malgré la sévère défaite de l'empereur Valens face aux Goths, devant Andrinople, en 378. « Question de chance... et peut-être aussi de meilleure gestion politique ». Il est vrai que les territoires les plus riches d'Orient, ceux qui assurent à Constantinople l'essentiel de ses ressources fiscales, sont en Asie, protégées par le détroit du Bosphore des attaques germaniques.
Sur le plan politique, toutefois, les notables romains d'Occident ne perdent pas au change en troquant l'autorité de l'empereur contre celle des roitelets barbares. Ceux-ci, par manque de cadres, doivent s'appuyer sur eux pour gouverner en toute quiétude.« La désintégration de l'Empire, remplacé par une mosaïque de cours germaniques, donna paradoxalement aux Romains vivant dans les provinces une meilleure situation qu'au IVe siècle, où il n'existait qu'une seule cour impériale, souvent lointaine. ».
Et l'archéologue de conclure : « Les Romains, avant la chute, étaient aussi convaincus que nous le sommes, nous aujourd'hui, que leur monde resterait pour l'essentiel, tel qu'il était. Ils avaient tort. À nous de ne pas répéter leur erreur et de ne pas nous bercer d'une fallacieuse assurance ».
André Larané