Le silicium ne manquerait pas dans les océans, bien au contraire[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La majeure partie des sédiments présents sur la marge continentale est issue de l'érosion des continents. Cette zone sous-marine comprend le plateau continental, le talus continental et le glacis continental.Les océans recevraient beaucoup plus de silicium qu’on le pense, ce qui doit faire plaisir aux diatomées. Plusieurs apports, notamment ceux en provenance des résurgences et des marges continentales, auraient en effet été négligés lors d’une précédente évaluation. Ce flux ne devrait plus être ignoré par les modèles climatiques.Les diatomées,
microalgues à carapaces siliceuses, produisent par
photosynthèse le quart de l’oxygène que nous respirons. Ce faisant, elles consomment du
dioxyde de carbone (CO
2) et jouent de ce fait un rôle majeur dans la pompe biologique de CO
2. Pour preuve, elles participent à l’exportation de la moitié du
carbone présent dans les eaux superficielles des océans vers les grands abysses. En outre, ces
algues sont uniques parmi les
organismes photosynthétiques marins, car elles ont besoin de silicium pour fabriquer leurs frustules de verre, ce qui explique partiellement le lien fort existant entre le cycle du carbone et celui du silicium.
Curieusement, les
modèles climatiques ont longtemps ignoré le silicium, leur composante biogéochimique destinée à quantifier les flux de carbone étant uniquement basée sur la limitation par l’azote ou le phosphore inorganiques dissous.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Les diatomées sont des microalgues unicellulaires
planctoniques, les seules à posséder une enveloppe externe siliceuse. Il en existerait plus de 100.000 espèces dans nos océans.Plusieurs origines possibles pour le silicium des océansGénéralement, le silicium arrive dans les océans via :
- les continents, les fleuves, les résurgences d’eau douce et les marges continentales,
lesquels sont alimentés en silicium par le lessivage des roches et des
sols siliceux par les pluies (la silice se dissout dans l’eau en donnant
de l’acide silicique, souvent dit « silice dissoute ») ;
- les fonds marins, plus précisément les sources hydrothermales profondes ;
- l’atmosphère.
En 1995, un groupe international publiait dans la revue Science
un article sur le budget du silicium dans l’océan mondial actuel. Ce document donnait notamment une estimation des apports par les fleuves, les
sources hydrothermales et l’atmosphère, les autres étant alors considérés comme négligeables.
Cette publication, qui a fait date, est devenue l’un des piliers de la
biogéochimie marine pour les observations de terrain, les expérimentations en laboratoire, les études de processus en mer et la validation de modèles.
Le silicium provenant des marges continentales non négligeableBénéficiant de nouvelles données rendues accessibles depuis, deux chercheurs du Laboratoire des sciences de l’environnement marin (
Lemar),dont fait partie le premier auteur de l’article de 1995, ont repris ce travail en réalisant de nouvelles estimations incluant cette fois les résurgences et les marges continentales. Ils ont montré dans la revue
Annual Review of Marine Science que les apports nets de silicium à l’océan mondial en provenance des continents avaient été largement sous-évalués.
Si les apports des fleuves (essentiellement ceux des
grands fleuves de la zone tropicale) restent prédominants (61 % du total des apports), ceux provenant des marges continentales représentent 20 % du total et ne peuvent donc plus être négligés. Quant aux apports des résurgences d’eau douce à
l’océan côtier, ils s’avèrent aussi importants que ceux des sources hydrothermales profondes ou de l’atmosphère.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Cycle biogéochimique du silicium dans l’océan mondial à l’état d’équilibre. La ligne pointillée représente la limite entre les estuaires et l'océan, les flèches grises les flux d'acide silicique et les flèches noires les flux de particules de silice biogénique.
Tous les flux sont exprimés en téramoles (1012 moles) de silicium par an. Abréviations : FR(gross)/(net), apports fluviaux bruts/nets ; FRW, dépôts de silice biogénique dans les estuaires ; FGW, flux des résurgences ; FA, entrées éoliennes ; FH, entrées hydrothermales ; FW, entrées par dissolution des minéraux déposés sur les marges ; FP(gross), production brute de silice biogénique (diatomées) ; FD(surface), flux d'acide silicique recyclé dans le réservoir de surface ; FE(exportation), flux de silice biogénique exportée vers le réservoir profond ; FD(profond), flux d'acide silicique recyclé dans les eaux profondes ; FD(benthique), flux d'acide silicique recyclé à l'interface eau-sédiment ; FS(rain), flux de silice biogénique en sédimentation et atteignant l'interface eau-sédiment ; Fupw/ed, flux d'acide silicique transféré du réservoir profond à la couche de surface (upwelling, diffusion turbulente) ; FB(netdeposit), dépôt net de silice biogénique dans les sédiments côtiers et abyssaux ; FSP, puits net de silice biogénique dû aux éponges des plateaux continentaux.
Un temps de résidence du silicium plus court qu’auparavantLes flux d’entrée du silicium dans l’océan étant plus importants que ceux précédemment définis, les chercheurs ont recalculé le temps de résidence du silicium présent dans l’océan sous
forme de silice dissoute. Il serait 35 % inférieur à la valeur de 10.000 ans trouvée en 1995. Or, un
atome de silicium délivré par la planète solide à l’océan tourne 25 fois en moyenne dans le
cycle biologique (assimilation par les diatomées, puis dissolution des débris siliceux dans l’eau de mer, puis réassimilation, etc.). Il quitte ensuite la phase liquide et est enfoui dans les
sédiments marins sous forme d’opale, un
minéral siliceux qui contribue sur le très long terme à la formation de minéraux silicatés plus complexes.
Un temps de résidence plus court signifie donc que le silicium va « tourner » plus rapidement que prévu dans le cycle biogéochimique.
Les auteurs ont également démontré que dans le
réservoir profond de l’océan, contrairement à ce qui était admis jusqu’à présent, le
recyclage du silicium par dissolution de silice biogénique (silice intégrée aux diatomées) se déroule prioritairement à l’interface eau-sédiment (75 %),
et non dans la colonne d’eau (25 %). Ce facteur ne pourra plus être ignoré par les modèles globaux en physique et biogéochimie.
Il ressort de ces résultats que si seul le puits d’opale sédimentaire dû aux diatomées est pris en compte, il y a
avantage d’apports de silicium à l’océan (sources) que d’export
(puits). Pour que le budget de cet élément puisse atteindre l’équilibre, d’autres puits sont donc nécessaires : le puits de silice dû aux
éponges siliceuses (particulièrement abondantes dans les eaux riches en silice dissoute de l
’Antarctique et du Pacifique nord) pourrait être un bon candidat. L’incertitude sur
ce puits est cependant telle que l’hypothèse d’un cycle du silicium à l’état non stationnaire dans l’océan moderne demeure envisageable.
Source : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] & CNRS