Bernard Hinault : « Lance Armstrong, il faut l’oublier »Bernard Hinault : «Les Français s'entraînent mieux et sont décomplexés maintenant.»
Quintuple vainqueur du Tour de France, Bernard Hinault est ravi que la 100e édition du Tour de France s’élance de Corse.
Entretien. Le départ du Tour de France en Corse vous inspire quoi ?Il y avait une demande de la
Corse et une recherche d’un départ
particulier de la part d’ASO, c’est une très belle opération. J’ai fait
le Tour de Corse, il y a longtemps (victoire en 1982, N.D.L.R.). Il y a
des parcours en plaine, en montagne, du vent. On peut s’amuser. Beaucoup de coureurs sont déjà venus en reconnaissance, car plusieurs étapes peuvent être piégeuses.
La première, de Porto-Vecchio à Bastia, peut faire l’objet de bordures s’il y a vent arrière. Après, de Bastia à Ajaccio, on va monter le col de Vizzavona. D’Ajaccio à Calvi, il y aura un enchaînement de difficultés. Il peut se passer plein de choses. Tu peux perdre le Tour dès le départ en Corse. Les favoris ne pourront pas se permettre d’être en petite forme en arrivant. Il y a de quoi s’écrémer ici.
Pourquoi selon vous la Corse a-t-elle été aussi longtemps oubliée ?C’est beaucoup d’engagements au niveau des frais, en terme de logistique. Il y a eu par le passé des candidatures de villes pour une étape. Mais on ne peut pas venir pour une seule journée, les coureurs n’auraient pas accepté autant de déplacements pour si peu de temps sur place. En faisant le grand départ et en y restant trois jours, il n’y a pas de souci. C’est une question d’organisation.
«Une course au maillot jaune ouverte»Comment voyez-vous l’explication pour le maillot jaune ?Il va être très ouvert. On a un
Contador qui a les crocs qui rayent le
parquet. Avec ce qu’il a vécu (suspension pour dopage, suite à son
contrôle positif en 2010, ndlr), il va être un combattant hors pair. Et
puis on a
l’équipe Sky, avec
Froome et
Porte, Wiggins le tenant du titre. D’autres vont s’avancer d’ici là, au moment du Dauphiné, comme
Van Garderen, Talansky, Rodriguez.
Les Français sont décomplexés ?Oui, Pierre Rolland, Thibaut Pinot marchent bien. Il ne faut pas les brider. Dans la nouvelle génération, il y a du talent. Il faut leur donner le plaisir de courir, quitte à tout perdre. Aujourd’hui, on se fixe avec l’idée de faire une place dans le Tour. On n’en a rien à foutre (sic).
Il faut viser des étapes. Pinot n’avait pas eu peur, il a osé. Il ne
faut pas les protéger. Sagan, à 20 ans, découvrait Paris - Nice et
gagnait des étapes. À 22 ans, il fait le Tour et prend le maillot vert.
Allez-y, les mômes ! En Bretagne, on en a, avec Le Gac, Barguil. Il y en a plein. On va prendre du plaisir dans les années à venir.
Le cyclisme doit reconquérir sa crédibilité après l’affaire Armstrong ?
Lance Armstrong, il faut l’oublier.
Les jeunes qui arrivent, il faut bien les guider et les laisser s’exprimer.«Les Français s'entraînent mieux»À une époque, vous leur reprochiez de ne pas savoir s’entraîner.Je pense que cela a changé. Ils comprennent qu’ils ne sont pas inférieurs aux autres. Avant, ils mettaient le dopage avant tout. Le dopage, ce n’est pas tout. Il faut bosser. À une période, certains n’ont pas fait ce qu’il fallait dans le travail. Certains l’ont confirmé. Pendant plusieurs années, je lui ai répété à
Chavanel, peut-être que j’étais un vieux con ! Puis un jour, il vient sur le podium et me dit :
l’entraînement, ça paie. Depuis qu’il a compris ça, il fait de meilleurs
résultats. Ils doivent comprendre que la période de compétition est
courte, dès le départ il faut donner le maximum. À Nice, sa victoire au sprint, c’est du rêve. Il avait envie de se faire plaisir. Laissons la
liberté aux coureurs. Le sport doit avant tout être un plaisir, ce n’est
pas un métier.
Le discours doit changer dans les équipes ?Ce qui nous manque en ce moment c’est de faire rêver les gens. Il faut tenter des coups.
Talansky s’est pris une grande claque sur
Paris - Nice, alors qu’il avait le maillot jaune et a attaqué. Mais au moins il a essayé.
Pensez-vous que les Français sont capables de décrocher de grandes classiques ?Avant moi, il n’y en avait pas. J’en ai gagné, après il y en a eu un peu. Là ça repart, avec des coureurs comme Voeckler qui a gagné la Brabançonne l’an dernier et fait encore 4e d’A Travers la Flandre.
Offredo, Chavanel sont présents aussi. Lui, il a raté le coche il y a deux ans au Tour des Flandres. Il n’aurait pas dû écouter les consignes d’attendre Boonen. Il aurait dû penser à lui.
«Dépasser ses limites»Le vélo vous passionne toujours autant ?Oui, c’est un sport génial. Sur le plan technique, on peut progresser
encore. Sur le matériel notamment. Cela sert à quoi les compteurs ? Tu les enlèves, c’est une prise au vent. Tu te mets la selle dans le trou du c.. (sic) et tu vas le plus vite possible ! À l’entraînement, tu
utilises des appareils pour connaître tes capacités, mais en
compétition tu n’en as pas besoin. Sans la machine, beaucoup sont perdus car ils ne connaissent pas leur corps. Tu dois connaître ton corps parfaitement. Ce n’est pas la machine qui va te dire où sont tes limites, c’est ton corps.
Vous les touchiez souvent vos limites ?Quand quelqu’un était devant moi. En 1984, contre
Fignon, j’étais poussé dans mes derniers retranchements, mais en 1985 c’est le contraire.
À
Mexico, quand j’ai fait la meilleure performance mondiale du kilomètre, quand j’ai passé la ligne je ne la voyais plus. J’avais comme objectif le trait et après je ne voyais que du noir. J’ai fait des contre-la-montre où à un kilomètre j’avais perdu et sur la ligne je gagnais. Je donnais tout, je voyais des étoiles derrière la ligne. J’ai ces souvenirs sur un Critérium international et au Tour. Ce qui prime c’est l’envie de gagner. Et le corps suit.
Quand vous jetez un œil sur votre carrière, quel sentiment se dégage ?Que du bonheur. J’ai pris mon pied. J’ai gagné ma vie de ma passion. Les très bons coureurs sont encore mieux payés aujourd’hui. Mais même à mon époque, j’étais payé beaucoup plus qu’un ouvrier.Recueilli par Vincent COTÉ.Source : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]