Le streaming peut-il être interdit ? La nouvelle lubie culturelle de Nicolas Sarkozy est profondément
ancrée dans le web français. Interdire et surveiller le streaming ne
sera pas une mince affaire.
Le streaming est devenu le nouveau
cheval de bataille de Nicolas Sarkozy dans sa quête de défense des
auteurs contre les pirates. "Les sites de streaming illégal font des
ravages. Il faut les combattre !", s'est-il enflammé à Avignon.
Une "commande très claire", selon son ministre de l'Economie
numérique, Eric Besson, qui souhaite s'attaquer au problème, même si "ça ne va pas se faire dans la facilité".
La mission pourrait incomber à la Haute autorité pour la diffusion
des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). "Hadopi
sera appelée à élargir son champ de réflexion et à modifier certaines de
ses méthodes et de ses procédures", fait valoir le ministre de la
Culture, Frédéric Mitterrand, lors du Buzz Média Orange-Le Figaro.
"Acte de représentation" contre "acte de consultation"La Haute autorité s'est d'ailleurs déjà interrogée, en septembre
dernier, sur "un encadrement juridique du streaming". Dans ses
conclusions, l'Hadopi estime que si une plate-forme propose en streaming
une œuvre protégée sans autorisation de l'ayant droit, elle s'expose à
des poursuites pour contrefaçon. De même, si un internaute met à
disposition une œuvre protégée sur une plate-forme de streaming, il
encourt une sanction pour contrefaçon.
Toutefois, quid de l'internaute qui consulte uniquement ? "Le débat
est ouvert et complexe", estime l'avocat Me Eolas. "Juridiquement, le
streaming constitue un acte de représentation d'une œuvre. Si cette
œuvre est protégée, alors cela me semble illégal", note l'avocat.
Un avis que ne partage pas Christope Alleaume, directeur de
l'atelier de réflexion de l'Hadopi sur la propriété intellectuelle : "Il
faut distinguer d'un côté une proposition d'accès à un contenu et de
l'autre une réception. Si cette proposition d'accès est illicite, cela
ne veut pas forcément dire que la réception l'est. On peut considérer
que l'internaute accède à un contenu illicite dans un cadre strictement
privé, cela pourrait être vu comme un simple acte de consultation".
La question de la preuveOutre le débat sur la légalité du streaming, "reste le problème
d'établir la preuve", souligne Me Eolas. Pour surveiller le
téléchargement illégal en peer-to-peer, il suffit à l'Hadopi de relever
les adresses IP identifiant les internautes. "Pour le streaming, le seul
moyen serait d'espionner et d'intercepter tous les internautes français
qui se connectent à des sites de streaming étrangers", explique
l'avocat. "Cela revient à mettre en place une immense surveillance du
web, via les mêmes techniques que les régimes syrien ou iranien."
L'idée de "filtrer" les sites de streaming fait elle aussi son
chemin. Elle consisterait à bloquer tout accès à des sites identifiés,
après une demande des ayants droit auprès du tribunal de grande
instance. Un outil qui pourrait être utilisé "sans tarder", selon le
site Electron Libre. Reste que la méthode sera aisément contournable
avec les sites miroirs, copies exacte d'un site existant.
Pour Me Eolas, "la seule solution, c'est la surveillance". Une
surveillance coûteuse, tout comme l'Hadopi, "qui ne sert qu'à protéger
des intérêts privés et commerciaux", s'enflamme l'avocat. "Il n'est
toujours pas prouvé que le téléchargement illégal ait une incidence sur
les industries de la culture. Il suffit de regarder le chiffre
d'affaires du cinéma français. C'est hallucinant de voir une industrie
qui s'attaque à sa propre clientèle", martèle-t-il.
Le streaming explose, en toute impunitéPour l'heure, l'Hadopi reste impuissante. D'après le texte de loi,
la Haute autorité n'est chargée que de surveiller le téléchargement
illégal. Ainsi, les internautes qui consultent des films et séries en
streaming ne peuvent recevoir de "recommandation" de l'Hadopi.
Toutefois, même si la consultation de films ou séries en streaming
est reconnue comme illicite et illégale, il restera "l'acceptation par
les internautes", souligne Christophe Alleaume. "Avec le [téléchargement
via] peer-to-peer, tous les internautes de bonne foi étaient conscient
de l'illégalité de la chose. Mais cela est beaucoup moins évident avec
le streaming...", souligne-t-il.
Ces quatre dernières années, la pratique du streaming a explosé dans
le monde, et particulièrement en France depuis la promulgation de la
loi Hadopi et le début de la surveillance des téléchargements en
peer-to-peer. Si la technique de consultation en temps réel préexistait,
la législation a encouragé l'essor d'une nouvelle pratique.
Sur Google, la recherche du terme "streaming" a enregistré une progression de +150% entre début 2009 et aujourd'hui.L'Hadopi conclut sobrement dans sa FAQ : "Aucun mode de diffusion
n'est en soi légal ou illégal, la technologie est neutre, c'est
l'utilisation que certaines personnes font de ces technologies qui peut
être illégale".
Boris Manenti - Le Nouvel Observateur
Source : commentçamarche.net