SCIENCES & SERIES : Histoires d’os pour la série "Bones" La série télé met en scène une experte en
anthropologie médico-légale capable de dérouler le C.V. d'un mort en un coup d'oeil sur ses os. Elle exagère, non ?[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
Les deux héros de "Bones", la série TV qui regorge de squelettes.Tout juste émergé du marais des Everglades, dégoulinant d’algues et
de cheveux, le crâne repose dans la main de
Temperance Brennan.
« Il s’agit d’un homme de 25 ans », assure l’héroïne de
Bones (saison 6, épisode 19).
HUMÉRUS. Elle est comme ça,
« Bones » : un seul coup
d’œil sur les restes d’une victime et elle déroule un pedigree long
comme l’humérus. Ironiquement, un simple regard a aussi suffi à
Claire Desbois, directrice du laboratoire d’anthropologie anatomique et de paléopathologie (L2AP) de Lyon, pour se faire une idée sur la série.
« J’ai dû en voir dix minutes avant d’abandonner. J’ai trouvé le personnage antipathique et en dix minutes, elle avait sorti dix âneries. »Le
Dr. Desbois enseigne l’anthropologie à l’université Lyon-1 et est
experte près la cour d’appel de Lyon : elle intervient lorsque des
ossements humains sont découverts et font l’objet d’une enquête. Tout comme Brennan, son travail consiste à identifier les victimes à partir de leurs os, et à découvrir si possible les causes de leur mort.
Tout est une question de fourchette« En anthropologie médico-légale, on se pose beaucoup de questions mais on n’est jamais sûr des réponses », affirme l’experte. Même pour une donnée comme le sexe, par exemple, toujours plus ou moins évidente dans la série. « Un individu n’est pas, anthropologiquement parlant, entièrement masculin ou féminin. Pour déterminer le sexe, on examine les éléments du squelette, on note s’ils ont des particularités plutôt féminines ou masculines et puis on fait une moyenne algébrique qui nous permet de dire globalement : il y a tant de chances que ce soit un homme ou une femme. »[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Temperance Brennan et Seeley Booth, le médecin et l'enquêteur.
ADMINISTRATIF. Idem pour l’âge :
« On peut déterminer un âge biologique, l’âge du squelette. Mais le vieillissement est variable d’un individu à l’autre, en fonction de la maladie, du stress, de la nutrition, etc. On doit donc donner une fourchette, en espérant que l’âge administratif de la personne rentre bien dans cette fourchette. »À la décharge de
Temperance Brennan, certaines de ses approximations ne relèvent pas des scénaristes mais des particularismes de l’anthropologie américaine, tel l’usage du terme
« caucasien » pour désigner le type
« européen » d’une victime.
« En France, on parle de leucodermes pour désigner cette catégorie de personnes, car les populations du Caucase sont autant européennes qu’asiatiques » précise
Claire Desbois.
"Bones", dégâts des os[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
Au Musée d'Histoire naturelle de New York. Concernant deux des aspects les plus spectaculaires de l’anthropologie judiciaire,
Bones est plus conforme à la vérité du métier… adaptée aux exigences télévisuelles. Ainsi, les marques retrouvées sur le squelette peuvent effectivement révéler beaucoup de choses sur les activités d’une personne de son vivant.
Du boxeur au facteur« J’ai eu un cas, celui d’un jeune homme tué par balle, dont les
os du nez étaient fortement abrasés, témoigne encore Claire Desbois. J’ai pensé qu’il pouvait être boxeur. Et les enquêteurs, après l’avoir identifié, ont confirmé qu’il pratiquait bien la boxe en amateur. »Bien sûr, mieux vaut réserver à la fiction une scène comme celle de
l’épisode 9 de la saison 5, où l’équipe de
Bones déduit, à partir d’une déformation de la colonne vertébrale et de la clavicule gauche (causées par une charge portée quotidiennement) et de marques de morsures de chiens sur les tibias, que la victime était… facteur !
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Un extrait de la 7e saison de Bones.
Autres grands moments de la série, les reconstitutions de visage à
partir d’un crâne ou de fragments de crâne. Là encore, comme
Temperance et ses collègues, les vrais labos d’anthropologie judiciaire peuvent faire des miracles :
le L2AP de Lyon a déjà reconstruit le visage d’une victime en l’absence totale de restes de la calotte crânienne. Mais ces prouesses ne s’accomplissent pas de manière quotidienne :
« En vingt ans, j’ai eu 40 cas de reconstitutions faciales médico-légales » avoue Claire Desbois.Hélas, pas d'Angelator dans la vraie vie !Surtout, les anthropologues ne bénéficient pas des mêmes technologies de pointe que leurs homologues fictionnels.Et pour cause ! Aucune université au monde (rappelons que l’Institut
Jefferson, fictif, au sein duquel oeuvrent les scientifiques de Bones
est un institut universitaire) n’a les moyens de s’offrir un outil comme
« l’Angelator », le dispositif 3D « grandeur nature » bidouillé par Angela, la spécialiste en informatique de la bande.
D’ailleurs, il était trop cher aussi pour les producteurs de la série
puisque les spectaculaires reconstitutions n’ont duré que deux saisons, remplacées ensuite par des images numériques plus classiques.
« Bien sûr, on est loin de la réalité des labos », reconnaissent
Marianne Chouteau et
Céline Nguyen, enseignantes-chercheures à l’Insa Lyon et
co-auteures de plusieurs études sur les représentations scientifiques dans les séries télé.« Bones reste une série policière qui se déroule dans un univers
scientifique, ce que les Américains appellent une série ‘Cop and Lab’. La science est un décor : la technique est omniprésente, mystérieuse - on n’explique jamais le fonctionnement des appareils - et infaillible. C’est quasiment magique : on lance une analyse, on a un résultat, toujours ! »Quelque part, cela correspond à l’image que les spectateurs se font
de la science et des scientifiques, qui peuvent tout expliquer.
« C’est
sans doute ce qui explique le succès populaire de ces séries, dans un
monde post-11 septembre où les gens avaient besoin de comprendre, de se rassurer. Mais aujourd’hui, leur schéma répétitif lasse le public, qui se tourne vers d’autres types de sciences, comme la psychologie avec Mentalist ou Lie to me », note
Marianne Chouteau. Il faut donc sans doute s’attendre à ce que
Bones ne fasse pas de vieux os…
Des enquêteurs qui ont du nezL’odeur est le souvent le premier indice en anthropologie médico-légale.
« Les vieux os ne sentent rien, à part la terre, l’humus. Les os récents, en revanche, ont l’odeur inimitable de la putréfaction », révèle
Claire Desbois.
Renifler les cadavres comme le fait parfois Temperance ? Ce n’est pas si dingue même si
« le plus souvent, ce sont les médecins légistes qui le font, à la recherche de certaines odeurs caractéristiques, comme l’amande amère qui peut révéler un empoisonnement au cyanure ».D’ailleurs, les odeurs sont souvent évoquées dans
Bones, surtout lorsqu’elles apportent un élément décisif :
« Qu’est-ce qui peut faire qu’un corps sente le pet ? », s’interroge ainsi un assistant examinant des restes dans l’épisode 6 de la saison 5.
La réponse (une forte concentration d’hydrogène sulfuré, produit
notamment par la décomposition des déjections animales) conduira les enquêteurs à l’élevage de poulets au cœur du drame. Mais si les experts de
Bones ne froncent pas souvent les narines au voisinage de restes décomposés, c’est qu’il est délicat de rendre compte de l’odeur de putréfaction, surtout dans une série diffusée en prime time, à l’heure du repas du soir.
« C’est une odeur très violente, à laquelle il faut s’habituer car il n’y a pas de moyen de s’en prémunir, avoue Claire Desbois. Sauf
un : le tabac. » Et la cigarette est interdite dans les labos et les salles d’autopsie… ainsi qu’à la télé.
Christophe AlainSource : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]