Live Japon : Pas de "sumaho", pas de boulot ? Au Japon, tous les étudiants de toutes les universités
mènent tous campagne en même temps auprès des mêmes entreprises pour
trouver du boulot. Dans cette course de vitesse pour prendre les
meilleures postes dans les boîtes les plus courues et les plus en vue,
un outil est devenu indispensable: le "sumaho" (smartphone) pour lequel
ont été conçus une foultitude d'applications et de services en ligne
permettant de postuler rapidement là où les places sont comptées.Parmi les nombreuses applications proposées pour iPhone, il en est une
qui a beaucoup "amusé" le mangaka japonais Jean-Paul NISHI : sur la base
de 18 questions n'ayant pour la plupart à première vue aucun rapport
avec le travail, le programme déduit le profil de l'utilisateur et les
professions qui lui correspondent... Attention, ce peut être
traumatisant !
2012 vient à peine de commencer, mais pour les lycéens et étudiants
japonais, c'est bientôt la fin de l'année scolaire et universitaire,
puisqu'elle s'achèvera en mars. Pour ceux qui terminent leur cursus,
cela signifie le début d'une nouvelle vie, dite "active", c'est-à-dire
l'entrée dans une entreprise. Pour la plupart, la recherche d'emploi
rime avec parcours du combattant, mais en réalité les Japonais n'ont
peut-être pas tant que cela à se plaindre, car beaucoup de futurs
diplômés savent déjà où ils vont débuter leur carrière. La "campagne de
recherche d'emploi" ("shushoku katsudo") ne débute en effet pas à la
sortie de l'université mais plus d'un an auparavant, en assistant à un
nombre incalculable de séances d'explications de la part des sociétés
qui recrutent des jeunes par centaines ou milliers tous les ans, le 1er
avril précisément, une tradition bien ancrée. Depuis le 1er décembre,
sont activement en campagne les étudiants qui achèveront leur cursus en
mars 2013, dans plus d'un an. Quelque 450.000 places sont à prendre
émanant des entreprises du secteur privé, lesquelles publient chaque
année le quota d'embauches de jeunes diplômés. Le jour venu, ils sont
tous accueillis en même temps par le patron qui prononce un discours
censé motiver les troupes.
Désormais, le meilleur moyen pour en arriver là est électronique: il
existe en effet de très nombreuses applications pour smartphone afin
d'aider les étudiants. Yahoo ! Japon propose par exemple un outil
intégré qui permet de gérer tous ses rendez-vous (séances
d'explications, entretien individuel, demande de stage, visite, etc).
Cette application donne aussi la possibilité d'enregistrer les
informations relatives aux entreprises et de les annoter, en donnant
accès à une base de données qui comporte tous les éléments essentiels:
secteur d'activité, adresse, date de création, nombre de salariés,
moyenne d'âge, etc. De nombreuses applications sont par ailleurs
destinées à entraîner les étudiants à se préparer aux examens de
sélection des entreprises, lesquels sont souvent des questionnaires
exigeant une capacité à parler de soi-même, à afficher ses prétentions, à
expliquer pourquoi telle ou telle boîte intéresse, etc. Des applis sont
ainsi de véritables annales des questionnaires des firmes recruteuses,
permettant de se faire une idée précise avant de se présenter au
concours.
L'opérateur de télécommunications japonais Softbank posait ainsi ce type de questions:
- Grâce à vos activités de recherches, que pensez-vous pouvoir apporter à Softbank ?
- Que voudriez-vous faire chez Softbank pour que la "révolution de
l'information et des télécommunications" permettent de rendre les gens
plus heureux ?
Microsoft Japon, lui, demandait aux candidats:
- A quelle matière consacrez-vous le plus d'efforts?
- Où réside selon vous l'attractivité d'une entreprise comme Microsoft?
- Faites la promotion de vous-même.
- Si en tant qu'étudiant vous utilisiez les services d'informatique en
nuage (cloud computing) de Microsoft, qu'est-ce que cela changerait
dans votre quotidien ?
Une autre application "Soutien à la campagne de recherche d'emploi 2013
par Takami Bridal", également destinée à ceux qui recherchent dès à
présent, et ce depuis plusieurs semaines, un emploi pour la fin de leurs
études en 2013, est basée sur une approche très intéressante. Partant
des objets du quotidien (téléphone portable, sac à main, voiture,
journal), elle décrit toute la chaîne de fabrication et les entreprises
qui y prennent part, permettant de découvrir des métiers que parfois
l'on ignore.
"Shukatsu meru" donne pour sa part des exemples de courriels pour
demander aux entreprises des documents d'information sur leur campagne
de recrutement, pour s'incrire aux séances d'explication (où les places
sont généralement limitées), pour demander à visiter l'entreprise, pour
rencontrer des anciens salariés, etc.
Il existe aussi des modèles de messages d'excuses (outil sans doute le
plus indispensable au Japon), des lettres de remerciements, etc..
Outre les applications, les réseaux communautaires sont aussi un moyen
de prospecter de façon jugée plus efficace. Les entreprises ouvrent par
exemple des pages d'information sur Mixi ou Facebook et emploient
Twitter pour délivrer aux prétendants les dernières nouvelles sur leurs
sessions de recrutement.
Des plates-formes de socialisation pour téléphones portables dédiées aux
futurs frais émoulus en quête de poste existent également, tel
Rikutomo. S'y inscrivent d'un côté les étudiants, de l'autre les
entreprises, les premiers pouvant ainsi aisément entrer en contact avec
les secondes, comme Dentsu (publicité), Shiseido (cosmétiques), Mitsui
Bussan (immobilier), etc.
Les étudiants créent aussi entre eux des communautés d'entraide,
partageant ainsi leur expérience, lieux qui permettent aussi d'entrer en
contact avec des vétérans d'entreprises et de prendre conseil auprès
d'eux.
Les opérateurs de télécommunications sont ravis de l'existence de ces
outils en ligne (qu'ils fournissent aussi en partie) puisque cela leur
donne un argument massue pour promouvoir les bienfaits des "smartphones"
et recruter des abonnés qui, puisqu'ils sont jeunes, sont en général de
gros consommateurs de services en tout genre. Pour mieux les attraper,
ils n'hésitent pas, comme KDDI, à participer aux salons spéciaux pour
permettre aux étudiants de rencontrer en un même lieu et en quelques
jours plusieurs sociétés en quête de nouvelles recrues.
Ces moyens techniques nouveaux commencent à creuser l'écart entre les
étudiants, ceux possédant un smartphone étant à même de réagir plus
rapidement, de répondre immédiatement à un e-mail, de s'inscrire dès la
publication des dates de séances d'explications, etc. Les autres,
démunis, prennent du retard.
Sumaho ou pas, la grande majorité des étudiants obtiennent effectivement une promesse d'embauche avant de quitter les campus.
Concrètement, à la date du 1er décembre dernier, c'est-à-dire 5 mois
avant la fin de l'année universitaire, 72% des étudiants devant achever
en mars prochain leur formation avaient déjà trouvé un employeur. Pour
les Nippons, ce pourcentage est dramatiquement faible, alors que pour la
plupart des étrangers, c'est prodigieux. Fin février, la proportion
sera bien supérieure encore. L'an passé, au 1er avril, 91% des étudiants
qui venaient d'achever leur cursus avaient une promesse d'ambauche, et
cela était le niveau le plus bas constaté depuis 1996 au moins.
Pour les Nippons, il faudrait cependant que ce soit 100%, comme dans le
passé. Il fut un temps en effet où les patrons faisaient la danse du
ventre devant les étudiants, lesquels, tout fiers, collectionnaient les
promesses d'embauche, certains en revendiquant deux, trois ou quatre,
tant les entreprises étaient demandeuses de frais émoulus à former pour
les rendre opérationnels et les garder le plus longtemps possible. Cette
époque s'est achevée dans les années 1990. Désormais, alors que tous
les facteurs négatifs semblent se conjuguer pour freiner l'activité des
entreprises, de tels niveaux semblent difficiles à retrouver, même si en
avril 2008, juste avant la crise financière internationale et alors que
le Japon venait de connaître cinq années d'embellie économique, la
proportion était remontée à 96,9%, avant de retomber.
Dans un tel climat, les étudiants sont terriblement angoissés, tétanisés
à l'idée de ne pas trouver de travail, et subissent une énorme pression
sociale et familiale, leurs parents étant aussi inquiets. Le tout est
sans doute contre-productif car beaucoup in fine perdent confiance en
eux et ne savent pas exprimer ce qui peut en eux intéresser un
employeur, d'autant que le schéma des entretiens d'embauche est souvent
très contraignant et protocolaire. Les médias et autorités ne cessent en
outre de souligner le fait que la situation est selon eux
"catastrophique", ce qui n'arrange rien.
Cela démontre, et ce n'est pas le seul exemple, que les Japonais ont
tendance à comparer la situation actuelle de leur pays à celle du passé
et non à l'analyser à l'aune des tendances actuelles et de la
conjoncture mondiale. S'ils comparaient avec ce qui se passe dans
d'autres pays, peut-être auraient-ils davantage conscience des
exceptions que connaît encore le Japon, ce qui n'interdirait pas bien
sûr pas de tout faire pour améliorer les choses. Il n'est toutefois pas
utile pour inciter les gens à progresser de rendre les choses au départ
plus alarmantes qu'elles ne le sont en réalité, surtout dans un pays qui
subit tant de catastrophes inévitables comme les séismes ou tsunamis.
Source : Clubic.com